Clinique des droits des peuples autochtones

Module 1

Droit international général et spécial des peuples autochtones

Ce module explore l’évolution historique des luttes et des revendications des peuples autochtones pour la reconnaissance de leurs droits fondamentaux. Il retrace les étapes clés de leur montée en puissance sur la scène internationale avec une attention particulière portée aux textes majeurs que sont la Convention n°169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux (1989) et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007).

Le module examine également les principaux mécanismes de protection à l’échelle internationale et régionale en mettant en lumière les organes des Nations Unies dédiés, tels que le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, et l’Instance permanente sur les questions autochtones.

Émergence internationale des droits des peuples autochtones

Bien que la notion juridique de « peuples autochtones » soit relativement récente, elle renvoie à un processus historique remontant aux débuts de la colonisation des Amériques.

À cette époque, la mission d’évangélisation confiée aux Rois Catholiques par l’autorité religieuse suprême de l’Europe chrétienne servit de justification à la violence politique de la « Conquête » en imprimant une forte dimension juridique à cette dernière. Le statut d’«Indios» trouve son origine dans les bulles papales de 1493. Dès la fin du 15ème siècle, les peuples autochtones furent soumis à un cadre juridique spécifique, les marginalisant et les séparant du reste de la population.

Faisons un bond dans le temps jusqu’au 20 septembre 1977 lorsqu’une centaine d’Indiens en costumes traditionnels, tambour battant, fait son entrée dans l’enceinte de l’ONU à Genève. Ce moment historique ne marque cependant pas la première tentative des peuples autochtones de se faire entendre dans les instances internationales. Dès 1923, le chef iroquois Deskaheh avait plaidé la cause des siens à la Société des Nations. Mais c’est en 1977 que la voix des peuples autochtones est enfin prise au sérieux. Une centaine de représentants de plus de 60 Nations autochtones des Amériques sont écoutés attentivement au sein du Palais des Nations. Ils proposent l’adoption d’une « Déclaration de principes pour la défense des nations et peuples autochtones de l’hémisphère occidental ». Cette déclaration pose les bases des débats à venir, notamment sur la question de la reconnaissance d’une personnalité juridique internationale à ces peuples.

En 1982, après deux autres conférences onusiennes d’ONG, le Conseil économique et social accepta la création d’un « Groupe de travail des populations autochtones », sous l’égide de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires, un organe subsidiaire de la Commission des droits de l’Homme. À l’époque, les Etats refusent d’utiliser le terme de « peuple » autochtone car ils défendent une vision stricte du principe d’autodétermination auquel le terme peuple est lié et maintiennent une vision exclusive de leur souveraineté.

Un autre jalon essentiel dans l’évolution de la cause autochtone à l’échelle internationale est le volumineux Rapport Martínez Cobo (1971-1984) publié en 1986-1987, qui aborde presque tous les aspects de la question autochtone à l’échelle mondiale. Ce rapport fut à l’initiative de la révision de la Convention n°107 de l’OIT et conduisit à la nomination d’un Rapporteur spécial chargé d’étudier les traités auxquels les peuples autochtones sont parties. C’est dans ce rapport que l’on trouve la première définition de travail des « peuples autochtones » à l’ONU, fondée sur trois éléments clés : l’antériorité dans un territoire, la non-dominance, et la revendication identitaire.

« [p]ar communautés, populations et nations autochtones, il faut entendre celles qui, liées par une continuité historique avec les sociétés antérieures à l’invasion et avec les sociétés précoloniales qui se sont développées sur leurs territoires, se jugent distinctes des autres éléments des sociétés qui dominent à présent sur leurs territoires ou parties de ces territoires. Ce sont à présent des éléments non dominants de la société et elles sont déterminées à conserver, développer et transmettre aux générations futures les territoires de leurs ancêtres et leur identité ethnique qui constituent la base de la continuité de leur existence en tant que peuple, conformément à leurs propres modèles culturels, à leurs institutions sociales et à leurs systèmes juridiques »

Les années 1970 marquèrent ainsi l’émergence des peuples autochtones comme acteurs sur la scène internationale, et bénéficiaires potentiels des actions des Nations Unies. Face à l’incapacité des gouvernements nationaux à leur rendre justice, ils continuent de s’adresser à la société internationale et de se mobiliser. Leur situation particulière, ne formant pas d’États indépendants tout en résistant aux tentatives de ceux qui les englobent de les « intégrer », soulève des questions juridiques et politiques majeures. 

Martínez Cobo Study | United Nations For Indigenous Peoples 

La Convention n°169 de l’OIT

L’Organisation internationale du travail (OIT) a pour mission d’améliorer les conditions de vie et de travail des individus et de contribuer à l’élimination des injustices sociales et économiques. Dans le cadre de ce mandat, l’OIT s’est intéressée au sort des travailleurs autochtones, notamment des communautés amazoniennes d’Amérique du Sud. En 1959, elle adopte la Convention n°107 « concernant la protection et l’intégration des populations aborigènes et autres populations tribales ou semi-tribales dans les pays indépendants », qui fût ensuite ratifiée par 27 Etats. Ce texte a été largement critiqué pour son approche paternaliste et pour avoir ignoré dans sa conception les revendications des populations concernées, qu’il qualifiait d’« arriérées ». L’objectif de cette Convention était d’améliorer les conditions de vie et de travail des peuples autochtones et ce afin de faciliter leur assimilation à la société dominante. Il n’était donc, à l’époque, pas question de « droit à l’autodétermination ».

En réponse à ces critiques, la Convention a été remplacée en 1989 par la Convention n°169 « relative aux peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants », qui reconnaît le droit de ces peuples à exister en tant que communautés distinctes, tout en respectant leurs cultures et modes de vie. En voici certains extraits pertinents triés par thèmes : 

Interdiction de la discrimination envers les PA

Article 3 :

  1. Les peuples indigènes et tribaux doivent jouir pleinement des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sans entrave ni discrimination. Les dispositions de cette convention doivent être appliquées sans discrimination aux femmes et aux hommes de ces peuples.
  2. Aucune forme de force ou de coercition ne doit être utilisée en violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des peuples intéressés, y compris des droits prévus par la présente convention.

Intégrité culturelle

Article 5 :

En appliquant les dispositions de la présente convention, il faudra :

  1. Reconnaître et protéger les valeurs et les pratiques sociales, culturelles, religieuses et spirituelles de ces peuples et prendre dûment en considération la nature des problèmes qui se posent à eux, en tant que groupes comme en tant qu’individus ;
  2. Respecter l’intégrité des valeurs, des pratiques et des institutions desdits peuples ;
  3. Adopter, avec la participation et la coopération des peuples affectés, des mesures tendant à aplanir les difficultés que ceux-ci éprouvent à faire face à de nouvelles conditions de vie et de travail.

Droit de décider de leurs propres priorités pour le développement et droit d’être consulté de manière libre préalable et éclairée

Article 6 :

1. En appliquant les dispositions de la présente convention, les gouvernements doivent :

  1. Consulter les peuples intéressés, par des procédures appropriées, et en particulier à travers leurs institutions représentatives, chaque fois que l’on envisage des mesures législatives ou administratives susceptibles de les toucher directement ;
  2. Mettre en place les moyens par lesquels lesdits peuples peuvent, à égalité au moins avec les autres secteurs de la population, participer librement et à tous les niveaux à la prise de décisions dans les institutions électives et les organismes administratifs et autres qui sont responsables des politiques et des programmes qui les concernent ;
  3. Mettre en place les moyens permettant de développer pleinement les institutions et initiatives propres à ces peuples et, s’il y a lieu, leur fournir les ressources nécessaires à cette fin.

2. Les consultations effectuées en application de la présente convention doivent être menées de bonne foi et sous une forme appropriée aux circonstances, en vue de parvenir à un accord ou d’obtenir un consentement au sujet des mesures envisagées.

Droit à la Terre :

Article 13 :

1. En appliquant les dispositions de cette partie de la convention, les gouvernements doivent respecter l’importance spéciale que revêt pour la culture et les valeurs spirituelles des peuples intéressés la relation qu’ils entretiennent avec les terres ou territoires, ou avec les deux, selon le cas, qu’ils occupent ou utilisent d’une autre manière, et en particulier des aspects collectifs de cette relation.

Article 14 :

1.  Les droits de propriété et de possession sur les terres qu’ils occupent traditionnellement doivent être reconnus aux peuples intéressés. En outre, des mesures doivent être prises dans les cas appropriés pour sauvegarder le droit des peuples intéressés d’utiliser les terres non exclusivement occupées par eux, mais auxquelles ils ont traditionnellement accès pour leurs activités traditionnelles et de subsistance. Une attention particulière doit être portée à cet égard à la situation des peuples nomades et des agriculteurs itinérants.

2. Les gouvernements doivent en tant que de besoin prendre des mesures pour identifier les terres que les peuples intéressés occupent traditionnellement et pour garantir la protection effective de leurs droits de propriété et de possession.

3. Des procédures adéquates doivent être instituées dans le cadre du système juridique national en vue de trancher les revendications relatives à des terres émanant des peuples intéressés.

Article 15 :

1. Les droits des peuples intéressés sur les ressources naturelles dont sont dotées leurs terres doivent être spécialement sauvegardés. Ces droits comprennent celui, pour ces peuples, de participer à l’utilisation, à la gestion et à la conservation de ces ressources.

2. Dans les cas où l’Etat conserve la propriété des minéraux ou des ressources du sous-sol ou des droits à d’autres ressources dont sont dotées les terres, les gouvernements doivent établir ou maintenir des procédures pour consulter les peuples intéressés dans le but de déterminer si et dans quelle mesure les intérêts de ces peuples sont menacés avant d’entreprendre ou d’autoriser tout programme de prospection ou d’exploitation des ressources dont sont dotées leurs terres. Les peuples intéressés doivent, chaque fois que c’est possible, participer aux avantages découlant de ces activités et doivent recevoir une indemnisation équitable pour tout dommage qu’ils pourraient subir en raison de telles activités.

Cette Convention, ratifiée par 24 pays, dont 15 en Amérique latine, est juridiquement contraignante. Elle représente un progrès par rapport aux textes précédents, notamment par son timide effort de reconnaître des droits collectifs aux peuples autochtones, mais n’est pas exempte de critiques. En effet, elle repose sur le principe de « consultation » des peuples autochtones plutôt que sur celui de « consentement ». Les États sont donc tenus de les consulter lorsqu’ils adoptent des mesures les concernant directement, mais ne sont pas obligés d’obtenir leur accord pour les appliquer. L’exigence de consentement n’est mentionnée qu’en tant qu’idéal dans la Convention.

Un autre enjeu majeur négligé par la Convention est celui des terres. Bien qu’elle invite les gouvernements à « respecter l’importance que revêt pour la culture et les valeurs spirituelles des peuples concernés la relation qu’ils entretiennent avec leurs terres ou territoires », elle propose très peu de solutions concrètes permettant aux peuples autochtones de protéger leurs terres ou de récupérer celles qui leur ont été spoliées par le passé.

Convention C169 – Convention (n° 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989 

La Déclaration des Nations Unies sur les DPA

Le 13 septembre 2007, l’Assemblée générale des Nations Unies adopta la « Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones » (DNUDPA) et ce après un processus de 25 ans d’action, de campagnes et de débats au niveau international impliquant des États, des représentants des peuples autochtones, des entités non-étatiques, des ONG et des experts indépendants. Les résolutions de l’Assemblée générale ne sont jamais en tant que telles contraignantes, mais la DNUDPA n’en reste pas moins un texte codifiant le droit existant et qui imprime un caractère coutumier à nombre de ses dispositions à l’égard des États qui ont voté en sa faveur. Elle se positionne sur des questions délicates telles que le droit à l’autodétermination et le contrôle des ressources naturelles sur les territoires autochtones. Aujourd’hui reconnue par la société internationale, la DNUDPA représente un exemple de participation démocratique dans le droit international contemporain, soulignant la difficulté de concilier les intérêts des États avec ceux des peuples autochtones.

Droits collectifs 

Un progrès significatif de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples Autochtones est leur reconnaissance en tant que groupes spécifiques bénéficiant collectivement de droits particuliers.

Article 1 :

« Les peuples autochtones ont le droit, à titre collectif ou individuel, de jouir pleinement de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales reconnus par la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme et le droit international relatif aux droits de l’homme. »

Article 7 (2) :

« Les peuples autochtones ont le droit, à titre collectif, de vivre dans la liberté, la paix et la sécurité en tant que peuples distincts et ne font l’objet d’aucun acte de génocide ou autre acte de violence, y compris le transfert forcé d’enfants autochtones d’un groupe à un autre. »

Ces droits, liés au droit à l’autodétermination que nous aborderons plus loin, contrastent avec la perspective assimilationniste présente, par exemple, dans la Convention n°107 de l’OIT. Cette convention cherchait à intégrer les peuples autochtones dans la société en effaçant leurs spécificités culturelles. Désormais, les populations autochtones ne sont plus considérées comme des collections d’individualités, mais comme des peuples à part entière, marginalisés en raison des processus de colonisation et dont la culture et les traditions doivent, elles aussi, être protégées. 

« La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît que ‘les peuples autochtones ont des droits collectifs qui sont indispensables à leur existence, à leur bien-être et à leur développement intégral en tant que peuples, créant un lien indissociable entre leurs identités autochtones et leurs droits en tant que peuples. (…) En établissant et respectant les droits collectifs des peuples autochtones, la communauté internationale a affirmé que ces droits ne doivent pas entrer en conflit avec les normes internationales en vigueur sur le plan des droits humains, mais les compléter. Ainsi, la mise en œuvre de droits humains collectifs ne devra pas avoir un effet négatif sur la mise en œuvre des droits individuels. » (FIDA 2018 : 4)

La question de la compatibilité entre cette notion de « droits collectifs » et les droits et libertés individuels, à la source des démocraties libérales, se pose. Bien que les débats à ce sujet restent vifs, les droits collectifs apparaissent comme une solution prometteuse pour répondre aux défis posés par nos sociétés contemporaines, de plus en plus marquées par la diversité multinationale et multiethnique. 

Identité culturelle 

Le droit à l’identité culturelle fait référence à la préservation et à la protection de la culture d’un groupe. On retrouve le concept d’identité dans l’article 2 de la Déclaration qui traite du droit à la non-discrimination :

« Les autochtones, peuples et individus, sont libres et égaux à tous les autres et ont le droit de ne faire l’objet, dans l’exercice de leurs droits, d’aucune forme de discrimination fondée, en particulier, sur leur origine ou leur identité autochtones. »

L’identité des peuples autochtones est étroitement liée à leur culture, la protection de cette dernière est donc un enjeu majeur de la Déclaration. L’identité culturelle renvoie également au concept de droits collectifs mentionné précédemment. 

Article 8 (1) :

« Les autochtones, peuples et individus, ont le droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture. »

Article 11 (1) :

« Les peuples autochtones ont le droit d’observer et de revivifier leurs traditions culturelles et leurs coutumes. Ils ont notamment le droit de conserver, de protéger et de développer les manifestations passées, présentes et futures de leur culture, telles que les sites archéologiques et historiques, l’artisanat, les dessins et modèles, les rites, les techniques, les arts visuels et du spectacle et la littérature. »

Article 12 (1) :

« Les peuples autochtones ont le droit de manifester, de pratiquer, de promouvoir et d’enseigner leurs traditions, coutumes et rites religieux et spirituels ; le droit d’entretenir et de protéger leurs sites religieux et culturels et d’y avoir accès en privé ; le droit d’utiliser leurs objets rituels et d’en disposer ; et le droit au rapatriement de leurs restes humains »

Comme nous l’avons déjà observé avec la notion de « droits collectifs », la protection de l’identité culturelle peut parfois entrer en conflit avec la protection des droits humains fondamentaux. Prenons l’exemple de certaines pratiques de justice traditionnelle ou de la place accordée aux femmes qui peuvent contrevenir au droit international. À ce propos, l’article 46 (2) rappelle que « Dans l’exercice des droits énoncés dans la présente Déclaration, les droits de l’homme et les libertés fondamentales de tous sont respectés… ».

Droit à la terre et autodétermination 

Les peuples autochtones entretiennent une relation particulière avec la Terre, qui fait partie intégrante de leur culture et de leur spiritualité. Cette vision du monde contraste avec la conception occidentale du territoire, qui repose sur le droit de propriété individuel.

Article 26 :

« 1. Les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis.

2. Les peuples autochtones ont le droit de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent parce qu’ils leur appartiennent ou qu’ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu’ils ont acquis.

3. Les États accordent reconnaissance et protection juridiques à ces terres, territoires et ressources. Cette reconnaissance se fait en respectant dûment les coutumes, traditions et régimes fonciers des peuples autochtones concernés. »

Ce droit à la Terre est souvent présenté comme étant en tension avec les principes de souveraineté des États et de droit à l’intégrité territoriale en droit international public, ce qui a notablement ralenti l’adoption de la Déclaration. 

Le problème réside dans le choix du terme « droit à la Terre », qui laisse entendre une potentielle perte du territoire national au profit des peuples autochtones, plutôt qu’un simple « droit de propriété ». Toutefois, ces craintes sont infondées puisque l’article 26 (3) précise que la reconnaissance et la protection juridique de ce droit relèvent des États. 

Les négociations menèrent finalement à l’ajout de l’article 46 (1) qui clarifie que :

« Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un peuple, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte contraire à la Charte des Nations Unies, ni considérée comme autorisant ou encourageant aucun acte ayant pour effet de détruire ou d’amoindrir, totalement ou partiellement, l’intégrité territoriale ou l’unité politique d’un État souverain et indépendant. »

De la même manière, le droit à la Terre est étroitement lié à un autre pilier de la Déclaration, le droit à l’autodétermination des peuples autochtones. En droit international, le mot « autodétermination » est particulièrement lourd de sens et peut être perçu comme une menace séparatiste pour l’unité politique des États. 

Article 20 :

« 1. Les peuples autochtones ont le droit de conserver et de développer leurs systèmes ou institutions politiques, économiques et sociaux, de disposer en toute sécurité de leurs propres moyens de subsistance et de développement et de se livrer librement à toutes leurs activités économiques, traditionnelles et autres.

2. Les peuples autochtones privés de leurs moyens de subsistance et de développement ont droit à une indemnisation juste et équitable. »

La difficulté ici est de maintenir l’intégrité des territoires et la possibilité de contrôle des États sur ceux-ci tout en reconnaissant la relation particulière des peuples autochtones à la Terre. Dans la plupart des cas, ce droit à l’autodétermination se traduit plutôt comme un nouveau moyen d’interaction entre les communautés et le gouvernement central plutôt que comme une forme spécifique d’autonomie.

Consentement libre, préalable et éclairé 

Le consentement libre, préalable et éclairé est un principe fondé sur les normes internationales des droits humains selon lesquelles « tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes », et, en lien avec ce dernier droit, ont également celui de « poursuivre librement leur développement économique, social et culturel ».

Article 19 :

« Les États se concertent et coopèrent de bonne foi avec les peuples autochtones intéressés — par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives — avant d’adopter et d’appliquer des mesures législatives ou administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones, afin d’obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. »

L’article 19 est celui qui illustre le plus clairement ce droit, mais il est également mentionné dans l’article 10, relatif aux déplacements de population, et dans l’article 30, concernant les activités militaires. Pendant les négociations de la Déclaration, ce droit a suscité de vives critiques de la part des États-Unis, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, qui le jugeaient discriminatoire à l’égard du reste de la population et contraire à nos institutions démocratiques et à leurs représentants.

Il est toutefois crucial de replacer ce droit au consentement libre, préalable et éclairé dans le contexte post-colonial actuel. Sa reconnaissance constitue une protection contre les abus des gouvernements, après des siècles d’injustices, et vise à établir un équilibre entre « l’intérêt national » et les « droits des peuples autochtones ». En utilisant le terme « consentement » plutôt que « consultation », la Déclaration représente un progrès significatif par rapport à la Convention n°169 de l’OIT et ce bien que l’application de ce droit reste limitée de nos jours.

Si la Déclaration des droits des peuples autochtones est revêtue d’une force contraignante qui n’est pas uniforme, sa reconnaissance par l’entièreté de la communauté internationale implique en tous les cas une obligation morale et politique forte. De plus, certains droits qu’elle consacre sont rattachables à des Conventions internationales plus générales, qui elles, sont juridiquement contraignantes. Elle est aujourd’hui le texte de droit international le plus avancé et ambitieux en la matière.

Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones | OHCHR 

Les principaux mécanismes Onusiens de droit international spécial

Au début des années 2000, alors que la signature de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones approchait, trois institutions furent établies au sein de l’ONU pour continuer l’examen des situations relatives aux droits humains des peuples autochtones. Ce travail avait été entamé par le « Groupe de travail sur les peuples autochtones » et le « Groupe de travail sur le projet de Déclaration », dont les mandats prenaient fin avec l’adoption de la Déclaration. Ces trois institutions sont l’Instance permanente sur les questions autochtones, le Rapporteur spécial sur les droits des Peuples Autochtones et le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones.

Instance permanente sur les questions autochtones (IPNUCA) 

L’Instance permanente sur les questions autochtones est un organe consultatif du Conseil économique et social de l’ONU. Elle examine les questions autochtones relevant du mandat du Conseil en matière de développement économique et social, culture, environnement, éducation, santé et droits de l’Homme. En plus de ces 6 domaines, l’Instance aborde des sujets transversaux tels que les questions d’égalité homme-femme ou les objectifs de développement durable. Pour s’acquitter de cette tâche, l’Instance permanente :

  • Fournit des recommandations sur les questions autochtones au Conseil ainsi qu’aux programmes, fonds et institutions des Nations Unies, par le biais du Conseil.
  • Sensibilise et encourage l’intégration et la coordination des activités relatives aux questions autochtones au sein du système des Nations Unies.  
  • Élabore et diffuse des informations relatives aux questions autochtones.

L’Instance est composée de 16 membres : 8 sont nommés par les gouvernements et 8, issus des 7 régions autochtones, sont nommés par le président de l’ECOSOC après consultation des organisations autochtones. Ces 16 membres sont nommés pour une période de 3 ans, renouvelable une fois et siègent en tant qu’experts indépendants sur les questions autochtones. L’Instance tient, chaque année, une session de deux semaines à New-York, entre avril et mai. Ses décisions sont prises par consensus entre ses membres. 

Ce forum permet aux délégués autochtones de travailler en réseau et de rencontrer des acteurs clés. Les délégués autochtones, les États membres et les entités de l’ONU lisent leurs déclarations, participent à des dialogues interactifs et à des dialogues à huis clos.

Avant le début des sessions, sont organisées des réunions du Caucus des Peuples Autochtones qui permettent aux représentants de se rencontrer, d’échanger des informations et de rédiger des déclarations communes et des recommandations.

L’Instance permanente sur les questions Autochtones | Division for Inclusive Social Development (DISD) 

Rapporteur spécial sur les droits des Peuples autochtones (RSPA) 

Le Rapporteur spécial sur les droits des Peuples autochtones est un expert indépendant qui est titulaire d’un mandat thématique sur les droits des peuples autochtones, octroyé par le Conseil des droits de l’Homme (CDH). Ce mandat dure trois ans, renouvelable une fois. Son actuel titulaire est Albert Barume (RDC).

Le Rapporteur spécial fait des rapports sur la situation des droits humains et des libertés fondamentales des Peuples Autochtones ainsi que des recommandations et des propositions à ce sujet. Son travail s’articule autour de quatre grands axes :

  • La rédaction de rapports annuels pour le Conseil des droits de l’homme sur les activités qu’il réalise au cours de l’année ou sur des thématiques pertinentes liées à la promotion et à la défense des droits des peuples autochtones.
  • L’émission de recommandations à l’égard des États.
  • Les visites officielles sur le terrain. Ces visites doivent être autorisées par le gouvernement de l’État en question. Sur place, il rencontre des représentants de plusieurs organisations des peuples autochtones, différentes autorités, des membres d’organisation de la société civile, des représentants d’agences de l’ONU ou d’autres organisations internationales et rédige ensuite un rapport sur la situation des peuples autochtones dans le pays qui se conclut par des recommandations à l’égard de ses dirigeants. Le Rapporteur peut mener 3 à 4 visites de ce genre par an. Il peut aussi effectuer des visites non officielles mais celles-ci prennent la forme de conférences ou de séminaires thématiques.
  • La réponse aux communications reçues. Le Rapporteur peut recevoir des « appels urgents » ou des « lettres d’allégation » concernant les atteintes individuelles et collectives aux droits humains. Ces atteintes peuvent être passées, se produire actuellement ou constituer une menace pour le futur. À leur réception, le Rapporteur évalue leur fiabilité et prend ensuite la décision d’intervenir ou non.

Le Rapporteur travaille en étroite collaboration avec le Mécanisme d’experts sur les droits des Peuples Autochtones et l’Instance permanente sur les questions autochtones mais aussi avec d’autres procédures spéciales, les organes conventionnels des Nations Unies et les organisations régionales de défense des droits humains. Le Rapporteur Spécial n’a cependant aucun pouvoir de contrainte et ne peut donc rien imposer aux États.

Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones | OHCHR 

Mécanisme d’experts sur les droits des Peuples Autochtones (MEDPA) 

Le Mécanisme d’experts sur les droits des Peuples Autochtones est un organe subsidiaire du Conseil des droits de l’Homme créé en 2007 et composé de 7 experts indépendants, reflétant les sept régions socio-culturelles autochtones[1]. Ces experts, d’origine autochtone de préférence, sont nommés par la Conseil des droits de l’Homme pour un mandat de trois ans, renouvelable une fois. Le MEDPA se réunit chaque pendant une semaine à Genève, généralement en juillet. Au cours de cette session, les experts examinent les points inscrits à leur ordre du jour et les participants inscrits ont la possibilité d’y faire des déclarations orales.

Cette instance a pour objectif de promouvoir l’application de la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. À cet effet, elle facilite le dialogue entre les États membres, les représentants autochtones, la société civile et les organisations intergouvernementales.

Le MEDPA s’appuie sur les informations transmises par les représentants des Peuples Autochtones et des États pour réaliser des études et des travaux de recherche. Il propose des thèmes d’études et de recommandations, soumis à l’approbation du CDH.

En septembre 2016, à la suite de l’adoption, par le CDH, de la Résolution 33/25, le mandat du MEDPA s’est élargi. Il fournit depuis des conseils techniques au CDH sur les droits des Peuples Autochtones tels qu’ils sont énoncés dans la Déclaration et aide les États membres qui en font la demande dans la concrétisation des objectifs énoncés dans cette même Déclaration. 

Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones | OHCHR 


[1] L’Instance permanente sur les Peuples Autochtones a divisé les peuples autochtones en 7 régions : Afrique ; Asie ; Amérique centrale, Amérique du Sud et Caraïbes ; Arctique ; Europe centrale, Europe de l’Est, Fédération de Russie, Asie centrale et Transcaucasie ; Amérique du Nord ; et Pacifique)

Les principaux mécanismes de droit international général

La lutte pour les droits des peuples autochtones peut aussi se fonder sur des instruments de droit international général. Dans ce contexte, l’Examen périodique universel et les comités de l’ONU se sont avérés être d’un précieux secours.

L’Examen Périodique Universel (EPU) 

L’EPU est un mécanisme d’analyse de la situation des droits humains dans un État membre de l’ONU se fondant sur la coopération des États.

Lors de la création du Conseil des droits de l’homme, par la résolution 60/251 de l’Assemblée générale des Nations Unies, celui-ci a reçu pour mandat de procéder à un examen périodique universel de la manière dont chaque État s’acquitte de ses obligations et engagements en matière de droits de l’homme.

Résolution 60/251 : « …procéder à un examen périodique universel, sur la foi d’informations objectives et fiables, de la manière dont chaque État s’acquitte de ses obligations et engagements en matière de droits de l’homme de façon à garantir l’universalité de son action et l’égalité de traitement de tous les États ».

C’est le « Groupe de travail sur l’examen périodique universel » qui procède à cet examen. Il tient trois sessions par an, 16 pays sont passés en revue lors de chacune d’elles. Il faut donc quatre ans pour examiner les 193 membres de l’ONU.

L’examen dure trois heures et demie et est effectué par d’autres États membres. Les États examinateurs font des recommandations à l’État examiné pour qu’il améliore la situation des droits humains sur son territoire. Ces recommandations peuvent porter sur tout ce qui touche de près ou de loin aux droits humains. L’objectif de ce mécanisme est donc que les États partagent leurs bonnes pratiques et ce afin d’améliorer concrètement les droits humains sur le terrain. Il promeut l’universalité et l’interdépendance de ceux-ci et assure, dans son fonctionnement, la participation de tous les acteurs concernés, y compris les Organisations de la Société Civile (OSC) et les Institutions nationales des droits de l’Homme (INDH).

Examen périodique universel | OHCHR

Les comités de l’ONU 

Les comités de l’ONU sont composés d’experts indépendants. Leur rôle est de s’assurer de la mise en œuvre des droits énoncés dans les conventions et les protocoles facultatifs auxquels ils sont liés. Ils examinent les rapports des États parties sur les mesures mises en place et émettent des recommandations pour améliorer la situation. Certaines conventions, si elles ne visent pas seulement les droits des peuples autochtones, s’avèrent tout de même être des armes de choix dans la lutte.

En voici quelques-uns :

Comité des droits de l’homme | OHCHR, chargé de la surveillance du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Article 1 :

1. Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.

2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.

3. Les Etats parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d’administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies.

Article 27 :

Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue.

Le droit international régional

La défense des droits des peuples autochtones et, plus généralement, des droits humains se déroule aussi à l’échelle régionale.

Amérique 

La Commission interaméricaine des droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de l’homme, en tant qu’organismes de protection des droits de l’homme de l’Organisations des États américains (OEA) ont joué un rôle central dans la protection des droits des peuples autochtones.

  1. Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme : Adoptée en 1948, cette Déclaration, bien que non contraignante réaffirme les droits économiques, sociaux et culturels, et notamment les principes d’égalité et de dignité.  

DECLARATION AMERICAINE DES DROITS ET DEVOIRS DE L’HOMEE 

  1. Pacte de San José : Adopté en 1969 par l’OEA mais entrée en vigueur en 1978, il répond aussi au nom de Convention américaine relative aux droits de l’homme. La Cour interaméricaine des droits de l’homme et la Commission veillent au respect des droits et libertés qu’il consacre. Une des principales faiblesses de ce Pacte est qu’il n’a pas été ratifié par les États-Unis et par le Canada.  

CONVENTION AMERICAINE RELATIVE AUX DROITS DE L’HOMME 

  1. Rapporteur sur les droits des Peuples autochtones : En 1990, la Commission a créé le bureau du Rapporteur sur les droits des Peuples Autochtones. Le rôle du Rapporteur est de renforcer, promouvoir et organiser le travail de la Commission concernant les droits des Peuples Autochtones.
  2. Déclaration américaine sur les droits des Peuples Autochtones : Adoptée à Saint-Domingue en 2016 par l’OEA, cette Déclaration reconnaît notamment les droits individuels et collectifs des peuples autochtones, leur droit à l’autodétermination, au territoire et à la préservation de leur culture.

DecAmIND_FRA.pdfOpen this document with ReadSpeaker docReader 

Afrique  

L’Organisation de l’unité africaine a adopté en 1981 la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. En 2004, a été créée la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et ce pour mettre en œuvre les dispositions de la Charte. Cette Cour a rendu des arrêts très intéressants en matière de droits des Peuples Autochtones et ce notamment dans l’affaire Commission africaine des droits de l’homme c. Kenya en 2022.

Charte africaine des droits de l’homme et des peuples | African Commission on Human and Peoples’ Rights 

Asie 

L’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) a adopté en 2012 la Déclaration des droits humains de l’ASEAN. Ce texte, non contraignant, a été fortement critiqué car il comporte certains passages susceptibles de contourner les normes internationales en matière de droits humains.

ASEAN Human Rights Declaration – ASEAN Main Portal 

Moyen-Orient 

La Charte arabe des droits de l’homme a été adoptée en 2004, lors du 16ème Sommet de la Ligue des États arabes. Si elle consacre certaines avancées significatives en matière d’égalité homme-femme, de droit de l’enfant et de droit des personnes handicapées, elle est critiquée pour son manque de conformité avec certaines normes internationales et pour l’absence de mécanisme en son sein pour veiller au respect et à la protection des droits qu’elle consacre.

ACIHL – La Charte arabe des droits de l’homme de 2004

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