Clinique des droits des peuples autochtones

Module 2

Judiciarisation du droit des peuples autochtones

Si l’évolution contemporaine des droits des peuples autochtones est liée aux processus de rédaction et d’adoption par les États d’instruments internationaux majeurs, elle passe également par un levier important : celui du recours aux juridictions et quasi-juridictions de différents niveaux.

La judiciarisation des luttes politiques est un processus par lequel les juridictions sont investies d’un rôle important dans la (re)définition des droits et de leur exercice. Cela implique, d’un côté, des argumentaires des acteurs sociaux de plus en plus souvent formulés en termes juridiques et de l’autre, une influence marquée du système juridictionnel sur les politiques publiques.

Le recours aux juridictions dans le cadre de conflits entre groupes aux capacités diamétralement opposées, comme c’est le cas en matière de lutte pour les droits des peuples autochtones, peut renforcer la légitimité des revendications du groupe marginalisé. Il offre des opportunités de dialogue et de négociation mais aussi d’interprétations novatrices des instruments internationaux, plus en accord avec les minorités que ces textes cherchent à défendre. L’attention médiatique que ces affaires génèrent participe, elle aussi, à cette légitimation et ce en incluant le grand public dans le débat.

Cette extension des usages du pouvoir juridictionnel, qui tend à flouter les frontières des sphères politiques et juridiques, a permis des avancées considérables en matière de droits des peuples autochtones mais aussi, de manière plus générale, en matière de droits humains. On notera toutefois qu’elle est également investie par des acteurs qui visent à réduire l’exercice des droits fondamentaux.

Nous étudierons dans ce module trois exemples majeurs de judiciarisation du droit des peuples autochtones en faveur d’une extension de la portée des droits protégés, et ce aussi bien au niveau national qu’international :

  1. Les Comités Tripartites de l’OIT et leur mobilisation, dans les années 90, par les peuples autochtones et leurs alliés en faveur d’une protection foncière collective. 
  2. La Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme et son travail d’interprétation des instruments interaméricains des droits de l’homme.
  3. La Cour Constitutionnelle colombienne et sa reconnaissance de droits aux « communautés » autochtones. 

En protégeant les minorités contre l’indifférence et les abus des pouvoirs politiques, la judiciarisation du politique s’impose comme un passage obligé de la protection des droits constitutionnels et du renforcement des institutions démocratiques. Elle nous pousse, cependant, à ne pas sous-estimer le mouvement de (contre)judiciarisation qui marque depuis des siècles le processus continu de spoliation des terres autochtones.

Les Comités experts tripartites de l’OIT

La Constitution de l’OIT organise, en son article 24, une procédure de réclamation pour l’exécution non satisfaisante par un État d’une convention ratifiée. Cette procédure peut être intentée par des organisations de travailleurs ou d’employeurs et la réclamation est étudiée par un comité d’experts tripartites, composé de trois membres du Conseil d’administration. Ce comité produit alors un rapport dans lequel il analyse les aspects juridiques et pratiques du cas et conclut sous forme de recommandations.  Il peut être chargé du suivi de l’affaire en cas d’absence de mesures prises par le gouvernement.

En ce qui concerne l’application de la Convention n°169 de l’OIT, notamment en matière de droits fonciers autochtones, la grande marge d’appréciation laissée aux politiques nationales et le manque de précision des obligations des États entraînèrent, au départ, une certaine timidité dans l’action des comités tripartites. C’est seulement vers la fin des années 90 que les choses commencèrent vraiment à progresser. 

Le principe de consultation préalable au coeur de la Convention n° 169

Un des piliers sur lesquels repose la Convention n°169 de l’OIT est le principe de consultation préalable, consacré en ses articles 6 et 7. L’article 6 impose aux États de consulter les peuples autochtones lorsqu’il est envisagé de prendre des mesures législatives ou administratives susceptibles de les toucher directement. Cette consultation doit être menée « de bonne foi et sous une forme appropriée aux circonstances, en vue de parvenir à un accord ou d’obtenir un consentement au sujet des mesures envisagées ». Ici, le consentement est vu comme un objectif et non comme une obligation. L’article 7, pour sa part, consacre le droit des peuples autochtones de décider de leurs propres priorités en ce qui concerne leur processus de développement économique, social et culturel. Ces deux articles, qui forment la base juridique du concept de consultation préalable, furent au centre des débats en matière de droits fonciers devant les comités tripartites de l’OIT.

Le principe de consultation préalable et le caractère « déclaratif » du droit étatique en matière de droit foncier autochtone 

En 1996, une réclamation fut introduite à l’encontre du Mexique auprès de l’OIT par « l’Union des Communautés Indigènes Huichol de Jalisco ». Cette dernière reprochait au gouvernement mexicain d’avoir cédé illégalement 22 000 hectares de terres historiques à des communautés agricoles dans les années 1960. Cette réclamation s’appuyait sur la violation des articles 13 et 14 de la Convention n°169 qui reconnaissent le rapport particulier des peuples autochtones aux terres qu’ils occupent traditionnellement et qui imposent de mettre en place des procédures pour résoudre les conflits territoriaux. Le Comité a reconnu la violation de la Convention par le Mexique et souligna par la même occasion deux principes fondamentaux de celle-ci : l’article 4 qui impose d’adopter des mesures spéciales « en vue de sauvegarder les personnes, les institutions, les biens, le travail, la culture et l’environnement des peuples intéressés » et l’article 6 concernant le principe de consultation préalable.

Dans une démarche similaire, en 1997, une réclamation fut introduite par la Confédération Générale des Travailleurs du Pérou contre la loi péruvienne 26845 sur l’attribution de titres relatifs aux terres des communautés paysannes de la côte. Cette loi privilégiait le régime de propriété privée plutôt que celui de propriété communautaire autochtone. Le Comité estimera une nouvelle fois que le gouvernement n’avait pas respecté le principe de consultation préalable. Il précisa toutefois « qu’il n’appartient pas au Conseil d’administration de déterminer quelle forme de propriété, collective ou individuelle, est la mieux adaptée aux populations indigènes et tribales dans une situation donnée ».

En 2007, une réclamation concernant l’octroi par le gouvernement guatémaltèque d’une autorisation d’exploration minière sur des terres où vivaient dix-neuf communautés autochtones permit à l’OIT de mettre l’accent sur le caractère déclaratif et non constitutif du droit étatique en matière de droit foncier autochtone. La défense des autorités guatémaltèques reposait sur l’idée que l’obligation de consultation préalable ne s’appliquait pas puisqu’une partie des terres ancestrales n’avait pas été officiellement délimitée. Le Comité rejeta cet argument en rappelant « que le point de vue du gouvernement, à savoir que la possession par les communautés indigènes des terres qu’elles occupent traditionnellement est illégale puisque les intéressés sont dépourvus de titre de propriété, n’est pas conforme avec la Convention, qui consacre en son article 14 les droits des peuples indigènes sur les terres qu’ils occupent traditionnellement ». Ce principe établit donc que la consultation préalable n’est pas seulement obligatoire pour les terres sur lesquelles les communautés détiennent un titre de propriété. Ce dernier ne crée pas le droit de propriété mais se contente seulement de reconnaître son existence.

La Cour interaméricaine des droits de l’homme

Avec la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour interaméricaine des droits de l’homme est l’un des trois principaux mécanismes régionaux de défense des droits humains. Son rôle est de veiller à l’application de la Convention américaine des droits de l’homme par les États membres. Seuls la Commission et les États membres peuvent saisir directement la Cour mais une ONG ou un particulier témoin d’une potentielle violation de la Convention peut l’atteindre indirectement en passant par la Commission.

Un aspect caractéristique de la Cour réside dans les interventions régulières d’amicus curiae, des tiers soumettant volontairement leur avis sur certains points d’une affaire pour éclairer ses décisions.

Le droit à la propriété collective et son interdépendance avec la notion d’identité culturelle dans le système interaméricain

La jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme se fonde sur une conception sociale des droits humains. Contrairement à la Cour européenne des droits de l’homme, qui met l’accent sur le pluralisme culturel et la protection de l’identité de la personne, la Cour interaméricaine privilégie le multiculturalisme, adoptant une perspective collective de la dignité humaine. Il en découle une vision du monde qui confère aux groupes le statut de véritables titulaires de droits.

Awas Tingni v. Nicaragua (2001) :

Dans cette affaire, le gouvernement du Nicaragua avait accordé à une entreprise un droit d’exploitation forestière sur une terre traditionnellement occupée par la communauté autochtone « Awas Tingni » mais pour laquelle cette dernière n’avait pas de titre légal de propriété. Les représentants de la communauté avaient demandé la conclusion d’accords avec l’entreprise afin de garantir leur droit de propriété et d’empêcher toute concession d’exploitation des ressources naturelles sans leur consentement préalable. Toutefois, ces démarches n’aboutirent jamais.

Devant la cour interaméricaine des droits de l’homme, les autorités du Nicaragua répliquèrent que la communauté « Awas Tingni » ne s’était pas prévalue des dispositions relatives au droit de propriété prévues par la loi sur la réforme agraire pour faire officialiser ses titres de propriété et que les droits d’exploitation forestière n’empièteraient pas sur leurs territoires. La Cour ne retint pas ces arguments et conclut à une violation de l’article 21 de la Convention américaine des droits de l’homme qui protège le droit à la propriété privée. Elle précisa que cet article s’applique également aux droits de propriété communautaire des peuples autochtones, un principe également inscrit dans la Constitution du Nicaragua. Elle souligna aussi « la signification particulière de la propriété communautaire des terres ancestrales pour les peuples autochtones, y compris pour préserver leur identité culturelle et la transmettre aux générations futures ».

Le Nicaragua fut condamné à délimiter et reconnaître des titres juridiques aux territoires des Awas Tingni, ainsi qu’à verser des indemnités réparatrices et à couvrir certaines dépenses légales. Ce jugement marqua un tournant dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme : pour la première fois, une décision internationale imposa à un État la reconnaissance et la protection du droit de propriété communautaire des peuples autochtones.

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La jurisprudence du Chaco paraguayen :

À la suite de l’arrêt Awas Tingni v. Nicaragua, la Cour a poursuivi son travail sur le droit de propriété communautaire, traitant notamment plusieurs affaires liées à la région semi-aride et faiblement peuplée du Chaco paraguayen.

En 2005, dans l’arrêt Yakye Axa Indigenous Community v. Paraguay, la Cour interpréta pour la première fois le droit de propriété de l’article 21 de la Convention américaine en le mettant en relation avec le droit de propriété communautaire de la Convention n°169 de l’OIT, ratifiée par le Paraguay. Elle mit en évidence le rapport étroit existant entre la vie spirituelle et culturelle des peuples autochtones et leur terre, dépassant de loin le simple rôle de moyen de se sustenter. Elle développa une conception large du terme « propriété » de l’article 21 incluant le matériel mais aussi « tous les droits qui peuvent faire partie du patrimoine d’une personne ; ce concept incluant les éléments mobiles et immobiles, corporels et incorporels et tous les objets intangibles pouvant avoir de la valeur ». La Cour affirma aussi que des restrictions au droit de propriété communautaire ne sont admissibles que si elles sont établies par la loi, nécessaires, proportionnelles et poursuivant un objectif légitime dans une société démocratique.

Un an plus tard, dans le cadre de l’arrêt « Sawhoyamaxa Indigenous Community v. Paraguay », la Cour affirma que le droit des peuples autochtones à la restitution de leur territoire traditionnel persiste aussi longtemps que la communauté conserve un lien spirituel et matériel avec celui-ci et que l’existence d’un droit de propriété de longue durée sur ce même territoire n’est pas suffisant pour s’opposer aux revendications de la communauté. Ce lien particulier peut se matérialiser de différentes manières selon les circonstances, et son entrave, que ce soit par la perte des terres ou par des raisons telles que la violence, n’entraîne pas la perte du droit de restitution.

Enfin, en 2010, dans l’affaire « Xákmok Kásek Indigenous Community v. Paraguay », la Cour réaffirma que l’article 21 de la Convention protège la relation culturelle et spirituelle des peuples autochtones avec leurs terres traditionnelles et leurs ressources naturelles, même lorsque les limites exactes de ces territoires sont incertaines, comme dans le cas des communautés nomades. Elle fit une nouvelle fois reposer son argumentaire sur l’accomplissement d’activités traditionnelles sur le territoire et mit en évidence le grave impact de la perte des terres ancestrales sur la communauté Xákmok Kásek et sa culture. La Cour souligna la conception purement « productive » des terres dans les conflits entre propriété privée et droits communautaires, insistant sur l’importance des liens culturels et spirituels pour garantir la protection des droits autochtones.

Lhaka Honhat Association (Nuestra Tierra) v. Argentina (2020) : 

Plus récemment, dans l’affaire Nuestra Tierra v. Argentine, la Cour a reconnu la violation par l’Argentine des droits à la propriété communautaire, à un environnement sain, à l’identité culturelle, à la nourriture et à l’accès à l’eau de certaines communautés autochtones.

Cet arrêt fut l’occasion pour la Cour de clarifier et de synthétiser son approche du droit à la propriété collective. en rappelant explicitement les trois devoirs des États découlant de celui-ci : celui de délimiter les territoires et d’octroyer des titres de propriété les concernant ; celui de garantir le droit des peuples de « contrôler et d’utiliser efficacement leur territoire et leurs ressources naturelles », ainsi que d’exercer leur droit de propriété « sans ingérence extérieure de la part des tiers » ; et enfin, celui de ne pas accomplir, directement ou indirectement, des actes susceptibles « d’affecter l’existence, la valeur, l’usage ou la jouissance » de ces terres.

Ce qui rend cet arrêt particulièrement novateur, c’est qu’il marque la première reconnaissance explicite, par la Cour, d’une violation autonome des droits économiques, sociaux et culturels, sur la base de l’article 26 de la Convention américaine des droits de l’homme. En agissant ainsi, elle rend ces droits directement invocables devant elle, même en l’absence de violation d’un droit de propriété ou d’un autre droit civil ou politique protégé par la Convention. Cette avancée reflète une vision plus en phase avec la manière dont les peuples autochtones se rapportent à leur environnement en réaffirmant notamment le lien profond existant entre leur identité culturelle et leurs territoires ancestraux.

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Le droit à la consultation préalable : l’affaire Sarayaku v. Équateur (2012)

 En 2012, une affaire concernant l’octroi d’un permis d’exploitation à une entreprise pétrolière privée opposa le peuple autochtone Kichwa de Sarayaku au gouvernement équatorien. Le peuple Sarayaku dénonça l’absence de consultation préalable et, par conséquent, son incapacité à donner son consentement pour l’utilisation de son territoire. Pour la première fois dans son histoire, la Cour effectua une visite sur le terrain, en l’occurrence sur le territoire traditionnel du peuple Kichwa. Cette démarche lui permit de constater directement la violation par l’État équatorien de l’article 21 de la Convention américaine des droits de l’homme. Elle interpréta le droit de propriété communautaire à la lumière des droits à la consultation et à l’identité culturelle du peuple Sarayaku, soulignant l’interdépendance de ces droits et leur rôle majeur dans la protection des droits humains. Elle insista sur la reconnaissance par l’article 21 de la relation particulière existant entre les peuples autochtones, leurs territoires ancestraux et les ressources naturelles qui s’y trouvent, affirmant que le droit de disposer d’un territoire perdrait son sens sans la protection de ses ressources.

La Cour s’est également appuyée sur la Convention n°169 de l’OIT pour rappeler l’obligation des États de consulter les peuples autochtones sur les questions susceptibles d’affecter leur vie culturelle et sociale, et ce afin de garantir la compatibilité des décisions prises avec leurs valeurs, traditions, coutumes et formes d’organisation. 

Ce qui confère à cet arrêt son caractère novateur, c’est que, pour la première fois, la Cour y précise que ces consultations doivent être « menées […] de bonne foi et d’une manière appropriée aux circonstances, dans le but d’aboutir à un accord ou d’obtenir le consentement concernant les mesures proposées ». 

Par cette décision, la Cour opère une avancée majeure dans sa jurisprudence en consacrant le droit au consentement libre, préalable et informé des peuples autochtones, présenté comme une version renforcée du droit à la consultation. Elle affirme par ailleurs que ce droit constitue désormais un principe général du droit international, opposable à tous les États, y compris à ceux qui n’ont pas ratifié ladite convention.

Sur cette base, la Cour précisa ensuite les contours de la consultation : cette dernière doit être organisée par l’État, régie par une législation interne, et initiée avant le début de tout projet. Elle doit se dérouler de bonne foi, dans le but d’atteindre un consensus entre les différentes parties prenantes, et doit « prendre en compte les pratiques traditionnelles de prise de décision du peuple ou de la communauté autochtone ». L’arrêt critiqua notamment le climat de tension qui avait marqué les négociations, en raison de l’omniprésence de forces militaires et d’agents de sécurité privés. En outre, une consultation adéquate inclut une étude d’impact environnemental réalisée selon des standards internationaux et en tenant compte des coutumes et traditions autochtones. Cette étude, finalisée avant l’octroi du permis, doit permettre aux communautés de prendre des décisions pleinement informées des risques environnementaux et sanitaires.

Cette reconnaissance par la Cour du manquement de l’État équatorien à son devoir de consultation inspira la communauté Kichwa de Sarayaku à rédiger leur propre loi, définissant les modalités du droit au consentement libre, préalable et éclairé. 

Caso Pueblo Indígena Kichwa de Sarayaku Vs. Ecuador. Fondo y reparaciones. Sentencia de 27 de junio de 2012. Serie C No. 245 

La Cour Constitutionnelle colombienne

La Cour Constitutionnelle colombienne a été instituée en 1991, lors de l’adoption de la « Constitution écologique » colombienne, qui consacre la protection de l’environnement en son sein. Depuis sa création, la Cour Constitutionnelle s’est imposée comme un des acteurs majeurs du développement de ce concept de « Constitution écologique » mais aussi de la protection des droits des peuples autochtones.

La Cour Constitutionnelle fait principalement reposer sa quête de justice sur deux types d’actions. D’abord l’action Populaire, instituée elle-aussi par la Constitution de 1991 et utilisée pour la protection d’intérêts collectifs. Ensuite l’action en Tutelle en tant que procédure prioritaire et rapide permettant à tout justiciable de solliciter, à tout moment et devant n’importe quel juge, la protection de ses droits constitutionnels fondamentaux. L’ensemble des actions en Tutelle est automatiquement transmis aux juges constitutionnels en vue d’une éventuelle révision.

La Cour Constitutionnelle colombienne a joué un rôle fondamental en matière de jurisprudence des droits des peuples autochtones. Ses décisions furent largement diffusées sur la scène internationale et contribuèrent indirectement à des évolutions significatives sur ces sujets dans d’autres pays d’Amérique latine.

La Constitution colombienne de 1991 a reconnu aux peuples autochtones, mais aussi afro-descendants, un ensemble de droits destinés à protéger leur existence et leur culture. Cette consécration fût le point de départ d’un développement jurisprudentiel important qui permit de concrétiser la protection de ces peuples.

En 1993, la Cour Constitutionnelle a rendu un arrêt fondateur, la décision T-380, dans laquelle elle a reconnu les communautés comme des sujets collectifs de droits fondamentaux. La Cour distingua les droits collectifs des communautés autochtones de ceux d’autres groupes d’humains. Elle précisa que « La communauté autochtone est un sujet collectif et non pas une simple somme de sujets individuels partageant les mêmes droits ou intérêts diffus ou collectifs. Dans le premier cas, la titularité des droits fondamentaux est indiscutable, tandis que dans le second, les personnes concernées peuvent défendre leurs droits ou intérêts collectifs par le biais de l’exercice d’actions populaires correspondantes ». Cette reconnaissance des communautés comme « sujets de droits » leur octroie le droit de former des actions en Tutelle pour demander une protection immédiate de leurs droits fondamentaux alors qu’en principe, seuls des personnes physiques et morales peuvent y recourir.  De plus, si ce type d’action a normalement pour objectif d’empêcher la violation de droits constitutionnels, dans sa décision T-300 de 2017, la Cour a admis la recevabilité d’une action en Tutelle pour réparer un préjudice causé par la violation du droit à la consultation préalable d’une communauté autochtone.

La notion de « communauté autochtone » a été davantage précisée dans la décision T-254 de 1994. Dans cet arrêt, la Cour a affirmé que les communautés autochtones ne pouvaient être assimilées juridiquement à de simples associations. Elle a défini les communautés autochtones (et afro-descendantes) comme étant une réalité historique et dynamique se caractérisant par des critères objectifs – tels que l’organisation sociale, le mode de vie distinct ou les conditions de vie spécifiques – ainsi qu’un critère subjectif fondamental : l’auto-identification. En ce sens, elle appuya le fait que : « La conscience d’une identité autochtone est un critère fondamental pour la détermination du moment où l’on est en présence d’une communauté autochtone. La seule intention de s’associer n’engendre pas ce type de collectivité. ». La référence à ces critères n’est pas spécialement révolutionnaire puisqu’ils sont également prévus dans la Convention n°169 de l’OIT. Il est, cependant, intéressant de noter que la Cour a ensuite souligné à plusieurs reprises dans sa jurisprudence que l’auto-identification est à tel point essentielle qu’elle peut, à elle seule, suffire à qualifier une communauté.

Après avoir défini les critères permettant de reconnaître une « communauté » ainsi que le concept de sujet collectif de droits fondamentaux y afférent, la Cour Constitutionnelle a disposé des fondements nécessaires pour consolider les droits des communautés autochtones colombiennes. Dans sa décision T-063, elle reconnut au droit de propriété collective le rôle de « garantie fondamentale permettant la concrétisation des droits fondamentaux des communautés autochtones, y compris l’autonomie et l’autodétermination et, en particulier, l’intégrité, l’identité ethnique et culturelle ». En tant que vecteur de protection des autres droits, le droit de propriété collective se voit conférer une prééminence manifeste sur ceux-ci. 

S’agissant du droit à la consultation préalable, bien que l’article 300 de la Constitution colombienne en limite à priori son application aux projets relatifs à l’exploitation de ressources naturelles sur les territoires autochtones, la Cour a progressivement élargi sa portée et ce notamment sur base de la Convention n°169 de l’OIT. Ainsi, dans sa décision C-208 la Cour l’a admis pour des questions relatives à l’éducation, et dans la décision C-313 pour celles ayant trait à la santé.

Par sa jurisprudence, la Cour Constitutionnelle a joué un rôle majeur dans la progression des droits des peuples autochtones en Colombie Nous nous pencherons à nouveau sur son travail dans le module consacré aux droits de la Nature.

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